« Guide de l’enfant »

Et s’il existait un « Guide de l’enfant »…

Lorsque j’ai lu cet article, mon seul regret était que de ne pas l’avoir eu entre les mains lors de mon premier accouchement, il y a maintenant 19 ans.

Un grand merci à Donna Bryant Goertz de m’avoir permis de le partager avec vous ici.

Cher Parent, Je veux être comme toi. Je veux être exactement comme toi, mais j’aimerais le devenir à ma façon, à mon rythme et en faisant mes propres efforts. Je veux t’observer et t’imiter. Je ne veux pas t’écouter sauf si tu ne me dis que quelques mots à la fois, sauf si tu ne sais pas que je t’écoute. Je veux lutter, faire de grands efforts face à quelque chose de difficile, quelque chose que je ne maîtrise pas immédiatement. Je veux que tu prépares le chemin de mes efforts, que tu me donnes les matériaux et les outils qui me permettront de surmonter la difficulté initiale et de réussir. Je veux que tu m’observes et que tu voies si j’ai besoin d’un meilleur outil, d’un instrument plus adapté à ma taille, d’un escabeau plus grand et plus sécurisant, d’une table plus basse, d’une boîte que je puisse ouvrir moi-même, d’une étagère plus basse ou d’une démonstration plus claire de la démarche à suivre. Je n’ai pas envie que tu le fasses à ma place, que tu me presses, que tu me plaignes ou que tu me félicites. S’il te plaît sois silencieux et montre-moi comment faire, doucement, très doucement.

J’exigerai de réaliser un projet entièrement par moi-même seulement parce que je te vois le faire, mais ce sera trop difficile pour moi. Sois ferme et impose-moi des limites. J’ai besoin que tu me donnes une petite partie de ce projet et que tu me permettes de la réaliser encore et encore jusqu’à ce que ce soit parfait. Divise le projet en parties ; grâce à  des efforts importants, de nombreuses répétitions et une grande concentration, j’arriverai à les maîtriser, même si c’est très difficile pour moi.

Je veux penser comme toi, me comporter comme toi, et partager tes valeurs. Tout ceci, je veux le faire grâce à mes propres efforts et en t’imitant. Parles plus lentement. Utilise peu de mots mais des mots sages. Ralentis tes mouvements. Accomplis tes tâches au ralenti pour que je puisse m’imprégner de ce que je vois et t’imiter. Si tu me respectes et me fais confiance en préparant mon environnement familial et en me donnant la liberté de m’y mouvoir, je me disciplinerai et serai prêt à coopérer avec toi plus souvent et plus volontiers. Plus tu es discipliné, plus je le deviendrai. Plus tu respecteras les lois de mon développement, plus je t’obéirai.

C’est une chance pour nous deux que j’aie un plan secret pour devenir comme toi, mais à ma façon. Ce plan secret me dirige. En le suivant je suis heureux et en sécurité. Je ne peux pas lui résister. Si tu t’immisces dans mon travail, qui est de m’épanouir en suivant mon plan secret, et que tu essaies de me forcer à te ressembler à ta façon, à ton rythme et en faisant les mêmes efforts que toi, j’oublierai de me consacrer à mon plan secret et je commencerai à lutter contre toi. Je déciderai de me livrer à une bataille contre toi et tout ce que tu représentes. C’est dans ma nature. C’est ma façon de me protéger. Tu pourrais appeler cela de l’intégrité.

Je suis capable d’être, à ma façon, la meilleure illustration de tes valeurs et de ce qui te caractérise. Si tu prépares mon environnement familial avec soin et attention, si tu gardes soigneusement mes matériaux et mes outils en bon état et bien rangés, si tu définis clairement et fermement les limites, si tu me donnes de longs moments de calme pour me consacrer à mon plan secret, je ferai mon travail, qui est de développer un nouvel être humain : moi !

En fonction de ma personnalité, je me livrerai à une bataille plus ou moins ouverte; je me battrai de façon plus ou moins agressive. Une grande partie de mon énergie, de mon talent et de mon intelligence incroyables sera gaspillée. A la fin, tu gagneras probablement mais je ne serai qu’une version faible, un pauvre substitut, une contrefaçon de l’être que je suis capable de devenir, et toi, tu seras épuisé. S’il te plaît, libère-nous, crée un environnement dans notre foyer qui me permette de faire mon travail, qui est de créer un être humain, et qui te permette à toi de faire le tien : élever cet être humain. Je ferai ce que je fais le mieux et toi, ce que tu fais le mieux.

T’ai-je déjà dit que j’avais besoin de disposer de matériel dans chaque pièce de la maison? J’ai besoin de disposer facilement et rapidement de ces matériaux, où que je sois dans la maison et peu importe où tu te trouves. J’ai besoin d’avoir la possibilité de travailler et de jouer près de toi. La plupart du temps, j’ai besoin de faire mes activités près de l’étagère où les matériaux pour les faire sont rangés, afin de prendre l’habitude de les remettre à leur place.

Mon plan secret pour me développer se réalise uniquement manuellement, c’est-à-dire avec des mains, les miennes, pour être précis. Je suis un grand artiste, un maître artisan, et j’ai besoin des meilleurs outils et fournitures. S’il te plaît, ne me donne pas plein de petites bricoles, seulement du beau matériel, complet et en bon état. Non seulement l’excès n’est pas nécessaire, mais il distrait. Il dérange ma créativité. Il me rend irritable et non coopératif. Je sais que c’est difficile de croire qu’à travers mes activités choisies librement et dans un état de concentration profonde, je développe mon caractère, mais c’est vrai. Je ne peux pas créer un beau caractère avec plein de bricoles en bazar.

Ma maison est aussi mon atelier et mon espace de travail, alors, s’il te plaît, fais en sorte qu’elle soit paisible et tranquille. Mets de la musique douce et apaisante quand je suis éveillé. Ne regarde la télévision que quand je suis parti me coucher. Quand je serai éveillé, je ferai tout le bruit dont nous avons besoin. Oh ! et j’ai besoin que tout soit ordonné. Je ne peux pas faire de mon mieux dans le bazar. Je ne sais pas comment créer de l’ordre moi-même mais je le désire, alors je vais avoir besoin de toi pour me le créer au moins trois fois par jour. Si tu crées de l’ordre pour moi d’une façon pratique et esthétique qui parle à mon esprit logique, petit à petit je commencerai à t’imiter de plus en plus.

Finalement tu pourras demander que je range moi-même, quand j’aurai environ six ans, à condition que tu penses à me le rappeler à peu près trois fois par jour jusqu’à mes neuf ans. Je ne peux pas gérer l’accumulation  de toute une journée d’objets à ranger, encore moins celle de toute une semaine. Je ne pourrais jamais gérer le bazar de tout un mois. Si tu te laisses distraire, que tu oublies de m’aider à ranger pendant la journée et que le bazar s’accumule, il faudra que tu le ranges tout seul chaque soir.

Je n’aime vraiment pas être aussi exigeant, mais j’ai besoin que mes fournitures soient organisées et mise à ma disposition afin que je puisse y accéder tout seul. Si je dois toujours te demander ce dont j’ai besoin, je commencerai à me sentir soit comme un commandant soit comme un assisté pleurnicheur. Imagine : je pourrais réellement endosser l’un ou l’autre de ces rôles. Ni toi ni moi ne voulons ça.

J’ai besoin d’indépendance comme j’ai besoin d’oxygène. Cela révèle le meilleur de moi-même. Le temps que tu passeras à installer mon environnement est du temps que tu ne passeras pas à gérer mon côté irritable, réfractaire, récalcitrant.

La télévision nuit grandement à mon développement. Désolée ! Je sais que tu ne veux pas entendre ça, j’ai besoin de beaucoup d’activités qui occupent mes mains et de beaucoup de temps pour les faire. La télévision me détourne d’activités plus importantes et remplit ma tête de plus d’informations que je n’ai le temps d’en traiter. Fais-moi la lecture tous les jours, parce que la lecture est une activité lente qui me permet de traiter les informations au fur et à mesure. La télévision me donne plus d’informations que je ne peux en traiter, alors je me bloque et je deviens soit passif soit frénétique. Je sais que tu penses que certaines émissions me font du bien, et je sais que tu mérites certainement le break que la télévision permet, mais nous payons tous les deux très cher chaque demi-heure que je passe à la regarder.

Je ne peux pas résister à la télévision, mais ce n’est pas grave car le parent de chaque enfant entre trois et six ans est là pour l’y aider. La télévision me rend inattentif, irritable et non coopératif. Plus je la regarde, plus j’ai envie de la regarder, alors ça crée des conflits entre nous. Si tu ne peux pas dire non maintenant à ma consommation quotidienne de télévision, quel exemple me donnes-tu, comment trouverai-je plus tard en moi la force de dire non à d’autres mauvaises habitudes? De plus, plus je regarde la télévision, moins j’ai envie de te ressembler. Tu te rappelles, j’imite ce que je regarde. Ah oui ! dis non aussi à tous les jeux vidéo que mes amis ont et que je te réclame avec beaucoup d’ardeur. Allez, je sais que tu peux le faire. En règle générale je serai tellement pris par mon travail ou par mes jeux que je ne t’entendrai pas me parler. N’aggrave pas les choses en t’adressant à moi de loin ou en te répétant. S’il te plaît, mets-toi à mon niveau, à 30 cm de mon visage, attire mon attention et regarde-moi dans les yeux avant de parler. Ensuite, utilise peu de mots mais des mots fermes et respectueux. Tu nous épargneras à tous les deux beaucoup de souffrance inutile si tu te souviens de faire cela. Je sais qu’il te sera difficile de t’en souvenir, mais si tu travailles dur tu peux t’entraîner pour que cela devienne une habitude. Après tout, si tu ne fais pas ce que tu es censé faire, comment peux-tu t’attendre à ce que je fasse ce que je suis censée faire ?

Si tu n’as pas le temps, l’énergie, ou – je n’aime vraiment pas le dire- la discipline intérieure pour faire ce que tu dis, ne le dis tout simplement pas. Des menaces en l’air et des promesses non tenues me poussent à te détester. Elles te donnent l’air idiot, arbitraire et faible. Je sais que je me comporte comme si je voulais diriger l’univers moi-même, mais ce n’est pas une démonstration de bravade. J’ai vraiment besoin qu’un parent dirige ma vie. Quand je ne peux pas compter sur toi pour penser ce que tu dis, je ne peux pas te faire confiance. Ça me rend profondément instable et me pousse à des extrêmes. Ça me fait peur, parce que je t’aime tant. J’ai besoin de te respecter et te faire confiance pour penser ce que tu dis et dire ce que tu penses. Tu es la partie la plus importante de mon environnement familial.

Juste au moment où je maîtriserai une compétence particulière et je serai enfin capable de me rendre vraiment utile, je m’en lasserai et je choisirai de ne plus la m’y consacrer. Ensuite, je voudrai apprendre un nouveau travail qui nécessitera beaucoup plus de compétences et de savoir-faire, et tu devras recommencer. Ceci se passera à peu près une fois par semaine pendant les six prochaines années et prendra beaucoup de ton temps si précieux.

Tu seras content d’entendre qu’une partie de mon plan secret consiste à ce que je t’aide dans la maison et dans le jardin. Non, ça ne peut pas être quand tu as le temps ou quand tu es d’humeur, ou même quand cela t’arrangerait le plus. Cela doit aussi servir mes intérêts. Désolée, je ne peux pas être flexible sur ce point. Après tout, c’est moi qui suis en train de créer un être humain. Tu ne fais que l’élever. En fait, je pense que cela ne t’aidera pas beaucoup, pas tout de suite et pas directement. C’est même un grand ralentissement. On doit me donner des outils d’une taille adaptée, des démonstrations soignées et beaucoup de temps et de patience.

Néanmoins, à long terme, ce sera très utile parce que je me sentirai tellement investi dans notre foyer et dans notre famille que je serai beaucoup plus raisonnable et respectueux des valeurs et des règles. A l’âge de neuf ans, je serai tellement habile, indépendant, discipliné et compétent que tu seras en droit d’attendre que je fasse ma part du travail dans la maison et le jardin. Je serai obéissant et responsable.

Je sais que mes besoins sont grands et nombreux. Je sais que je t’en demande beaucoup, mais tu es tout ce que j’ai vraiment. Je t’aime et je sais que tu m’aimes au-delà de la raison et sans mesure. Si je ne peux pas compter sur toi, alors sur qui ? Mais soyons francs. Cela ne doit pas être parfait. Je suis robuste et résiliant. Je survivrai et en tirerai le meilleur. Je pensais juste que tu voulais avoir le chapitre sur l’Environnement Familial Primaire du Guide de l’Enfant Primaire Montessori. Tu pourrais rendre les trois prochaines années beaucoup plus amusantes pour nous en prenant soin de moi en fonction de mes besoins. Si tu veux, on peut viser 50% de mes besoins ? D’accord, d’accord, je me contenterai de 25%.

Amour, câlins et bisous,

Ton enfant entre trois et six ans.

P.S. Je sais que j’ai beaucoup de chance. Il n’y a pas beaucoup d’enfants qui ont des parents qui les écoutent vraiment et qui prêtent attention à leurs besoins au lieu de simplement céder à leurs pleurnicheries et à leurs caprices. Peut-être ont-ils peur que leurs enfants arrêtent de les aimer. Peut-être ont-ils peur que leurs enfants ne soient pas appréciés. Je garde ça pour le Chapitre Six.

Plus je regarderai la télévision, plus je me plaindrai de m’ennuyer parce que je perdrai petit à petit ma disposition naturelle à suivre mes Périodes Sensibles, tu sais, celles qui me poussent à faire certaines choses pendant des stades de développement spécifiques. Sans l’interférence de la télévision, une insatiable curiosité créative me pousse à explorer mon environnement et à fixer mon attention sur une activité, à me concentrer et à la répéter. Sous l’influence de la télévision, cette créativité se change en un monstre boudeur qui s’appelle l’ennui et qui nous tyrannise tous les deux, pèse sur notre relation et compromet mon développement optimal.

Donna Bryant Goertz, fondatrice d’Austin Montessori School, Texas, représente une ressource pour les écoles partout dans le monde. Le livre de Donna Children Who Are Not Yet Peaceful : traduit en français : Quand l’école s’adapte aux enfants, s’appuie sur ses trente ans d’expérience en tant que guide dans une communauté de trente-cinq enfants entre six et neuf ans. Elle est diplômée de la Fondazione Centro Internazionale Studi Montessoriani à Bergamo, Italie, et a reçu son diplôme d’aide à l’enfance de The Montessori Institute of Denver, Colorado. Traduction : Andréa McGibney, Edition : Marion Boclet.